1959, DE LA VILLE LUMIÈRE A LA VILLE ÉTERNELLE
22 février 2024 - 12:00
« POPOF » PREND LA LUMIÈRE (II/IV)
L’arrivée sur la Promenade des Anglais le 10 mars prochain envoie une invitation au mois de juillet, lorsque l’arrivée finale du Tour de France sera jugée pour la première fois loin de Paris, sur la place Masséna de Nice. Les archives de la Course au soleil révèlent un autre point commun avec le parcours de la Grande Boucle 2024, puisque sa 17e édition emmenait le peloton depuis Paris jusqu’à Rome, en passant par Nice mais aussi Florence. En ce début de saison 1959, la « Course des deux capitales » a donné lieu à un duel avorté entre Jacques Anquetil et Roger Rivière, à la révélation d’une jeune garde avec les deux vainqueurs (oui, oui !) Jean Graczyk et Gérard Saint et à de spectaculaires coups manqués comme la frustrante déconvenue de Gastone Nencini, chez lui dans la capitale toscane. Récit en quatre épisodes d’une aventure franco-italienne mouvementée… et unique.
Les Italiens, sur tous les tableaux
Le peloton de cette très spéciale édition 1959 accueille 32 coureurs italiens, dont les ambitions sont réelles au classement général avec Nino Defilippis et Gastone Nencini, mais qui sont aussi omniprésents dans la chasse quotidienne aux bouquets. Dans la première séquence de la course, la parole est donné à toute une catégorie de coureurs venus pour préparer les grandes classiques. Les Belges sont à leur avantage, avec Willy Vannitsen qui gagne à Gien (et.1) puis le vainqueur de Paris-Roubaix 1958 Leon Van Daele qui prend le relais à Saint-Etienne. Mais les Italiens ne sont pas en reste, puisque Vito Favero et Armando Pellegrini remportent deux étapes chacun sur le long périple jusqu’au Colisée. À l’issue de la quatrième étape, c’est un champion venu de Lombardie, Pierino Baffi, qui endosse le maillot blanc le temps d’une demi-étape. Une fois au pays, il s’impose à Florence puis atteint Rome sur le podium final, en 3e position et premier représentant de « la botte ». Au total, la délégation remporte cinq étapes sur Paris-Nice-Rome, ce qui reste à ce jour le record pour les coureurs italiens.
Gérard Saint, l’interminable Normand
La hiérarchie des champions français est menacée. Après le règne de Louison Bobet, il semble que celui de Jacques Anquetil se mette en place. Mais le phénomène Roger Rivière prend de l’envergure, et Paris-Nice-Rome révèle surtout le potentiel de Gérard Saint, déjà entrevu par les plus fins suiveurs sur le Tour du Luxembourg ou le Grand Prix des Nations, et qui s’exprime pleinement sur cette épreuve. Dès les premières étapes, il se comporte en parfait équipier de Rivière chez Rapha-Géminiani, puis s’affirme comme un prétendant sérieux à la victoire lors du chrono de Vergèze. Il accuse certes un retard d’une trentaine de secondes sur Anquetil et Rivière, logiquement dominateurs sur l’exercice solitaire, mais c’est bien le gamin d’Argentan, âgé de 23 ans, qui prend la tête du classement général en même temps que la 3e place de l’étape. Son physique longiligne qui culmine à 1,92m vaut à Gérard Saint le surnom de « l’interminable Normand », et sa prestation sur l’ensemble de la course le place déjà parmi les hommes qui comptent dans le peloton. Hélas, son destin a été fauché lors d’un accident de la route mortel un an plus tard, alors qu’en tant qu’appelé du contingent, il rejoignait sa compagnie après avoir profité d’une permission en famille.
Et Graczyk surgit
Jean Graczyk n’est déjà plus un anonyme du peloton, il s’est même distingué devant le public du Tour en remportant le maillot vert en 1958. Mais le jeune homme porte ici le même maillot Helyett-Leroux que Jacques Anquetil, André Darrigade ou Jean Forestier. Difficile d’exister dans ce contexte, mais sans manquer à ses devoirs d’équipier, sa solidité et sa régularité lui permettent d’aborder la dernière étape française dans les mêmes eaux qu’Anquetil, à une quarantaine de secondes du leader Gérard Saint. Et sur la route Manosque-Nice, le franco-polonais que tout le monde appelle « Popof » est adoubé par son leader pour se lancer avec Darrigade dans une échappée qui a toutes les chances d’assommer les Rapha-Géminiani, à savoir Saint et Rivière, les deux premiers du général. Grâce à ses efforts constants et appuyés tout au long de la journée, le petit groupe qui comprend aussi Nino Defilippis se fait bel et bien la malle sur la Nationale 7, et grimpe l’Esterel avec plus de six minutes d’avance sur le peloton. À l’arrivée, son anecdotique 8e place de l’étape lui donne un net avantage sur la concurrence. Il remporte Paris-Nice, mais la route reste encore longue jusqu’à Rome.
Darrigade, le sauveur
André Darrigade n’a pas seulement la réputation du redoutable sprinteur qui a remporté au total 22 étapes sur le Tour de France et le maillot vert à deux reprises (1959-61). Le « lévrier landais » est aussi reconnu pour sa loyauté d’équipier, un gentleman du peloton aussi bien salué par le patron de l’équipe de France Marcel Bidot que par son leader Jacques Anquetil. Et sur l’étape Manosque-Nice, c’est bien cette attitude qui construit le succès final de Jean Graczyk, dont les chances auraient certainement été anéanties par une crevaison dans la montée de l’Esterel. « Il importait de secourir Graczyk, virtuel leader », expliqua avec le plus grand naturel le sauveteur qui avait sacrifié sa roue en même temps que ses chances de s’imposer au sprint sur la Promenade des Anglais. L’étape de Nice, finalement remportée par Pierre Everaert, un membre des Rapha-Géminiani qui n’avait pas pris un relais de la journée dans l’échappée, voilà le seul regret exprimé par Graczyk à son arrivée. « Le geste d’André m’a profondément touché, je ne lui avais rien demandé et je me serais bien gardé de le faire. C’est grâce à Darrigade si je suis en tête du classement général ce soir. J’aurais voulu gagner l’étape pour le remercier ». Leçon d’humilité.