1959, DE LA VILLE LUMIÈRE A LA VILLE ÉTERNELLE
27 février 2024 - 14:30
RIEN N’EST JOUÉ EN ITALIE (III/IV)
L’arrivée sur la Promenade des Anglais le 10 mars prochain envoie une invitation au mois de juillet, lorsque l’arrivée finale du Tour de France sera jugée pour la première fois loin de Paris, sur la place Masséna de Nice. Les archives de la Course au soleil révèlent un autre point commun avec le parcours de la Grande Boucle 2024, puisque sa 17e édition emmenait le peloton depuis Paris jusqu’à Rome, en passant par Nice mais aussi Florence. En ce début de saison 1959, la « Course des deux capitales » a donné lieu à un duel avorté entre Jacques Anquetil et Roger Rivière, à la révélation d’une jeune garde avec les deux vainqueurs (oui, oui !) Jean Graczyk et Gérard Saint et à de spectaculaires coups manqués comme la frustrante déconvenue de Gastone Nencini, chez lui dans la capitale toscane. Récit en quatre épisodes d’une aventure franco-italienne mouvementée… et unique.
La jeune garde aux commandes
La Course au soleil franchit pour la première fois une frontière, dans l’étape Menton-Vintimile, alors que Jean Graczyk porte le maillot blanc de leader. C’est maintenant lui qui porte les espoirs de la formation Helyett-Leroux, du haut de ses 25 ans. Mais « Popof », comme on le surnomme dans le peloton et dans la presse, s’apprête à encaisser les coups que lui promet le clan d’en face, celui des Rapha-Géminiani, par deux gamins encore plus jeunes que lui. Roger Rivière et Gérard Saint, tous deux âgés de 23 ans, mènent une offensive sérieuse dans la montée de la Turbie. Excellents grimpeurs, probablement les plus en forme du moment quand la route s’élève, ils parviennent à éloigner Graczyk, à qui il reste tout de même à l’arrivée une belle avance après avoir cédé une grosse minute. Dans cette courte étape (72 km) à très haute intensité, « les battus de Nice furent les vainqueurs de Vintimile » comme l’écrit Jacques Marchand de L’Equipe dans un encadré intitulé « La revanche du Saint ». Ce jour-là, le Normand relance en effet ses chances de victoire. Le match est lancé entre les jeunes loups.
Bobet bouge encore
À ce stade de sa carrière, Louison Bobet a déjà acquis le statut de légende du sport français. Si ses premiers exploits datent de 1951, année où il s’impose à la fois sur Milan-Sanremo et le Tour de Lombardie, il réalise son grand chef d’œuvre sur les étés 1953, 54 et 55, en devenant le premier vainqueur de trois Tours de France consécutifs. Le Normand a quelques bonnes habitudes sur la Course au soleil, qu’il a accrochée à son palmarès en 1952 et où il a levé les bras à 7 reprises au total. Mais à près de 34 ans, il ne fait plus partie des favoris les plus évidents. L’impression se confirme en première semaine, Bobet évolue en léger retrait par rapport à Anquetil, Rivière ou Saint. Mais dans l’étape de Vintimile, il se montre offensif dès le début et suit le mouvement lancé par les deux derniers nommés dans la montée de la Turbie. C’est avec eux qu’il atteint la première arrivée italienne et bien que battu dans l’ordre par Saint et Rivière, sa troisième place a fait forte impression, dans le peloton et chez les journalistes L’Equipe. Le lendemain, Jacques Augendre titre son papier « Louison Bobet a rajeuni de cinq ans… ».
Anglade s’invite dans le match
S’il a ponctuellement montré de belles choses sur ses deux premiers Tours de France en 1957 et 1958, Henri Anglade n’a pas encore la faveur des pronostics en abordant Paris-Nice-Rome. Toutefois, le Lyonnais est encore dans le coup au moment d’attaquer l’étape de Chiavari. Sur les routes où il conserve quelques bons souvenirs de son récent de voyage de noces, il est l’un des artisans majeurs de l’échappée du jour et surtout le mieux classé au général parmi ces neuf coureurs de tête. Derrière eux, les acteurs du général se lancent dans un harcèlement systématique du maillot blanc, Jean Graczyk. La bataille en règle empêche les attaquants de prendre réellement le large, mais Anglade se retrouve en position de prendre la tête du classement général… jusque dans les derniers kilomètres. Sur la ligne d’arrivée, le verdict est amer : il échoue pour neuf secondes dans sa tentative de prise de pouvoir. Deuxième de la hiérarchie, Anglade tient manifestement la forme, mais aura du mal à réitérer une opération du même ordre sur les trois étapes restant à courir.
Nencini privé d’un triomphe à domicile
Gastone Nencini n’est pas encore le Maillot Jaune qui a eu le privilège des félicitations du général de Gaulle lors d’un arrêt du peloton à Colombey-les-deux-Eglises, alors qu’il s’apprêtait à boucler en vainqueur le Tour de France 1960. Mais le gagnant du Giro 1957 est déjà l’un des favoris de la Course au soleil en prenant le départ. L’Italien joue un peu en retrait sur le chrono de Vergèze et ses espoirs s’éloignent encore en retrouvant son pays. Au matin de l’étape de Florence, il accuse près de 6 minutes de retard sur Graczyk, mais se promet de frapper un grand coup à domicile. À l’attaque tout au long de la journée, ils se présente pour le final dans une situation favorable, au sein d’un groupe de neuf coureurs parmi lesquels il a ses chances. Nencini parvient même à se détacher mais à une centaine de mètres de l’entrée dans le stade qui accueille l’arrivée, un gendarme commet sa bourde de l’année en aiguillant le champion toscan sur une mauvaise route. Ecarté sur ce malheureux coup du sort, il laisse Pierino Baffi pénétrer en solitaire sur la cendrée et s’imposer. Le Lombard, déjà vainqueur d’étape sur les trois grands tours, profite de ce nouveau succès pour prendre position sur le podium provisoire (3e), à deux jours de l’arrivée.